S B – Les œuvres d’Art sont des productions humaines pour les humains. L’Art n’existe pas plus qu’un juge en perruque et le cacatoès ne se grignote pas à l’apéro. Rimbaud n’a écrit aucun poème avant que je ne le lise; c’est un fait : le monde s’arrête à ce que je touche et c’est moi qui décide de ce qui existe.
P K- Alors ?
S B- Ok pour le 4×4 !
Howard Phillip in « Chéri achète moi un 4×4 ! » Acte IV, Scène IV – Annecy 1997
Destination
L’Art est un phénomène qui se manifeste en dernier lieu comme un événement. La preuve de l’existence d’une œuvre, in fine, n’est pas la présence de l’objet mais l’apparition des sentiments que vit le spectateur à son contact. L’Art préexiste au travail de l’artiste, présupposé sans lequel il ne ferait rien. En travaillant il chercher à enter au pays de l’Art pour en (p)rendre quelque chose. Il crée alors un objet physique ou non qui préserve une flamme du phénomène. L’objet est vivant et ouvert. L’Art émerge de nouveau lors de la rencontre entre un spectateur et une œuvre mais de manière singulière, personnelle, unique et particulière, vraie et fausse, égoïste bien qu’en sympathie avec le Monde et le vivant. Le spectateur, le lecteur, l’auditeur deviennent alors des expérienceurs.
C’est à dire que pour moi le rôle de l’Art n’est ni de flatter nos opinion, avis ou morale ( ça c’est le domaine de la publicité et de la propagande), ni de nous divertir ( ça c’est le travail de l’industrie du divertissement) ni de proposer du beau et encore moins du joli ( là c’est pour les décorateurs) ni de raconter ou de gloser sur un sujet ( la c’est le travail des illustrateurs, des commentateurs ou des intellectuels – toutes disciplines confondues) mais bien de nous plonger dans des univers et des notions qui nous dépassent, de maintenir un lien avec tout ce que notre humanité a dû abandonner pour faire civilisation. L’Art se développe et s’aiguise à mesure de civilisation et pourtant elle reste, dans son essence magique : dans l’acte pour le créateur, dans la contemplation active pour l’experienceur. En Art il n’y a pas de notion de progrès ( chez l’artiste si) bien que le créateur puisse se servir des progrès annexes, ceux issus de la science et accaparés par l’industrie du commerce.
Aussi étrange que cela puisse paraître l’émergence de l’Art ne doit pas tant à une question de forme qu’à la question du faire. C’est le faire qui insuffle un pouvoir dans la forme.
Toute la réflexion sur l’Art peut-être prise par cet angle-miroir, comme une géométrie de symétries où les inverses ne pourraient communiquer, échanger mais seraient en mesure de se contempler. Tout en Art est ce qu’il n’a pas. Le Vivant de l’Art est l’absence. Il est entièrement et par essence artificiel et inerte donc il nous met au naturel, au Vivant. Cet absence n’est pas un vide, il n’est pas à combler ou la place que peut prendre le créateur ou le spectateur, il est en soit un Tout, un magma de potentiels fantomatiques dont certains prennent vie le temps d’une contemplation.
Le créateur a besoin de matière, l’Art d’un corps: l’œuvre.
Le créateur a besoin d’un moteur, l’Art aussi.
L’Art est une chose commune, que l’on a presque en commun. Nous savons tous de quoi nous parlons mais aucun ne saurait le définir.
S’il est difficile, peut-être vain de statuer l’Art il est réel de reconnaître des œuvres. Il fait parti de ces notions floues et certaines comme le Temps, l’Espace, la Vérité ou le Réel. Et l’Art est corrélé à ces notions. Il nous permet par les différents médiums qui l’anime de les vivre pleinement, de baigner dans leurs essences. Un temps lié à l’être, sans écoulement, en dehors de toute causalité ; un espace infini, embrassé d’un coup, relationnel jusque dans l’intime; une vérité non verbale composée d’évènements qui n’en sont qu’un; un réel qui repose sur l’acceptation consentie du fantasme.
Rôles et acteurs
L’Art qui se fait n’est pas l’Art qui se voit. L’Art qui se fait préexiste ; l’Art qui se voit existe, de façon singulière le temps d’une expérience.