Prolégomènes
Cis.XXI Colloque International de la Singularité // 17 juin 2021 //
Singularité et processus de singularisation // Biennale de Paris //
IRISA
ART E(S)T CHOSE PSYCHIQUE
SINGULARITÉ(S) ET ENTROPIE(S)
Thomas Collet – Thomas Pactole – Virginie Tillier
La Journée d’Études de l’IRISA d’avril 2021, “L’art à l’épreuve de la singularité”, constitue le point d’ancrage de cette proposition à trois voix. Les échos que les interventions ont eus, immédiats et différés, furent probablement à l’orée de ces “rencontres” que les parfois bons hasards des réseaux sociaux peuvent offrir. Notre trinôme s’est ainsi construit sur ce chemin : Virginie Tillier1 a saisi des résonances possibles dans le tressage entre art et chose psychique qui la
meut depuis des années. Le projet de Thomas Pactole2 met en évidence les singularités siennes dans un dispositif visuel à l’impact émotionnel et sensoriel fort. Singularités en écho. Début juin 2021, l’artiste Thomas Collet3 installait un « Ran 7 » au Prieuré de Charrière (Drôme), œuvre elle- aussi issue d’un processus créateur qui suscite des échos de singularités.
L’Histoire de l’Art et les œuvres contemporaines savent rendre attentif aux dialogues féconds que le texte et l’image, le conceptuel et le visuel, les domaines de connaissances et l’univers des symboles, les registres du mythique et du scientifique peuvent faire advenir d’unique. Parmi les démarches artistiques initiées dans les temps de la modernité, le protocole sériel, dans ce qu’il peut comporter de ritualisations comme d’ouvertures vers la nuance et l’accident, permet un fort attachement à la singularité de l’œuvre, de son soubassement conceptuel à son déploiement sensoriel.
C’est ainsi que l’œuvre d’art ne peut que se vivre. Comme ne peut que se vivre la rencontre clinique avec un individu en détresse psychique ou en demande d’apaisement de son mal-être, de transformations de sa dynamique particulière. La présence et l’écoute au chevet du patient, la «clinique» dans la dimension humaniste promue par Canguilhem, Henri Ey ou Carl Rogers, autant que par Freud et Winnicott, aiguisent un regard essentiel à ancrer dans la Cité. Ce que Lacan nommait la « psychanalyse en extension ».
ART ET CHOSE PSYCHIQUE
1 Docteur ès Histoire des Arts (Université de Bourgogne) et Psychologue clinicienne (Établissement Public de Santé Mentale de la Vallée de l’Arve) ; vtillier7421@gmail.com
2 Programmeur de mondes virtuels et Étudiant en Master 2 NET à l’Université Paris 8, A(L)TER fut néanmoins réalisé lors de sa seconde année de Master Création Numérique à l’Université de Chambéry ; thomaspactole.site ; tpactole@gmail.com
3 Artiste visuel ; ran.yabonsan.com ; yabonsan@icloud.com
L’opérationnalité du concept de singularité appréhendée comme processus inspire une approche diachronique et transdisciplinaire. Dépassements, affranchissements, recherches de formulations nouvelles, confrontations à l’inconnu viennent former une topologie dans laquelle la distinction entre individualisation et individuation se révèle dans son riche potentiel et sa profonde efficience.
Dans le domaine de la psychologie, il y a aujourd’hui les «neurotypiques». Et les «atypiques». Les prestations compensatoires et les aménagements socio-professionnels sont parfois nécessaires. On gagne toujours à les penser temporaires, adaptés à la subjectivité, respectueuse de la philosophie du care tout en pré-servant l’empowerment de l’individu. Dans ce cadre, le tressage des approches psycho-dynamique et intégrative fait bénéfice aux patients comme au clinicien, qui adapte sa posture, ses médiateurs et ses techniques à la singularité rencontrée.
Ironie, visée critique, dissociation, distanciation, détachement : ces caractéristiques posturologiques et esthétiques imprègnent l’art moderne européen depuis Marcel Duchamp. Les réévaluations incessantes du rapport à l’art dans ses dimensions objectales et objectives ont permis de décaler le regardeur dans ses assises académiques et orthodoxes. Là aussi, posture, médias et techniques viennent convoquer la singularité rencontrée.
Déjà en 1893 le philosophe pragmatique Maurice Blondel affirmait (« Action », p.135) que « l’hétéronomie4 est le complément nécessaire de l’autonomie de la volonté. » Il se positionnait dans un registre moral : nous tentons ici de proposer un glissement dans le registre éthique, qui englobe l’acte, la posture et le discours. Un glissement épistémologique qui autorise la rencontre, sous la bannière de la singularité, de la psychologie clinique et de la création artistique. Les travaux de Thomas Pactole et Thomas Collet mettent particulièrement en jeu cette oscillation féconde entre hétéronomie et autonomie, favorisant la rencontre, voire la collusion de singularités plurielles.
Le projet A(L)TER de Thomas Pactole réside dans la singularité sensorielle et phénoménologique de son être au monde : son vécu d’homme diagnostiqué autiste, entre hyper et hypo sensibilité, enflements et mises en retrait, acuité et parasitage. Dans son projet, il nous rappelle le fantasme mortifère d’une humanité qui, ni égale ni égalitaire, se pense dans une homogénéité favorisée par la traque permanente des réseautages mondialisés, des pouvoirs totalitaires de l’avoir et du paraître. C’est aussi, en arrière-plan, résistance face à une outre et ultra mondialisation qui n’oublie pas d’œuvrer à l’uniformisation des individus, au lissage des singularités, à d’impures fins mercantiles.
L’œuvre Ran 7.5. Charrière de l’artiste Thomas Collet : 2702 « individus » – monotypes offrent autant de vibrations chromatiques, pigmentaires, dont la matérialité ne cesse d’être renouvelée par la lumière et la donne volumique du « bassin d’accueil » pour lequel ils ont été tuilés, de manière singulière, unique et temporaire. « L’individu » doté de caractéristiques singulières permet, dans l’installation qui le fait cohabiter avec des milliers d’autres, la création d’une population, puis d’un peuple, puis d’une culture. Abolissant le hiatus issu du primat de l’idée sur la matière, l’artiste, dans la singularité psychique et physique du moment de la création in situ, renoue avec le daimon socratique, esprit divinatoire, parent du voyant rimbaldien.
Nous avons déterminé 3 pôles faisant singulièrement écho à nos pratiques, nos cheminements et nos attentes: sensorialité et engagement du corps; technique, artisanat, processus, geste; abolition du cadre, disparition du support, contraintes du protocole,
4 C’est-à-dire le fait d’être influencé par des facteurs extérieurs, d’être soumis à des lois ou des règles dépendant d’une entité extérieure.
territorialité, continuité et rupture. Notre trinôme s’est aussi particulièrement retrouvé autour de la notion d’entropie, comme au chevet du sillage ouvert en 1962 par Umberto Eco dans son Œuvre ouverte.
Faisant le constat d’œuvres qui « se caractérisent par l’extraordinaire liberté qu’elles accordent à l’exécutant » qui, par exemple en musique, « n’a plus seulement […] la faculté d’interpréter selon sa propre sensibilité » mais « doit aussi agir sur la structure même de l’œuvre, déterminer la durée des notes ou la succession des sons, dans un acte d’improvisation créatrice », Eco pose en catégorie esthétique novatrice ces « œuvres ouvertes », dont le média peut également reposer sur des pratiques d’art visuel ou d’écriture.
« Nous ne sommes plus devant des œuvres qui demandent à être repensées et revécues dans une direction structurale donnée, mais bien devant des œuvres « ouvertes », que l’interprète accomplit au moment même où il en assume la médiation. » (Eco). Cette esthétique, qui se pose tout autant en poétique, vise à souligner le transfert, opéré particulièrement aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale (pour le moins), d’une posture active et créatrice en direction de l’individu qui expérience l’œuvre ainsi définie.
Les grandes machineries baroques, les effets chromatiques changeants des Impressionnistes et de leurs suiveurs, les compositions abstraites de tout repère figuratif, la narrativité explorée par les avant-gardes de l’Entre-deux-Guerres, les œuvres-environnements, les installations et les performances… : les préliminaires sont tout aussi nombreux que les héritages de cette notion d’ « œuvre ouverte » qu’Umberto Eco défend magistralement.
Les travaux de Thomas Pactole et les créations de Thomas Collet en adoptent pour partie le chemin: le dialogue artiste-créateur/regardant-expérienceur s’enrichit puissamment d’une dialectique qui forme une base intrinsèque à la pièce créée. Pas plus qu’un Ran, le dispositif de VR n’est rien sans son temps de monstration et de rencontre avec chacune des singularités qui y exposent une large part de leur sensorialité. Nous y retrouvons cette importance de l’élément subjectif dans l’interaction suscitée par l’œuvre, autorisant Eco à affirmer que l’une des fonctions de l’art est de produire « des compléments de monde ». L’auteur ouvre sa perspective majeure : « si une forme artistique ne peut fournir un substitut de la connaissance scientifique, on peut y voir en revanche une métaphore épistémologique : à chaque époque, la manière dont se structurent les diverses formes d’art révèle – au sens large, par similitude, métaphore, résolution du concept en figure – la manière dont la science ou en tout cas, la culture contemporaine voient la réalité. » (Eco).
Parallèlement à cette proposition d’Eco, les échanges réalisés à trois voix ont aussi mis à jour la prégnance de la notion d’entropie qui, pour avoir été créée en 1865 dans le domaine de la thermodynamique5, se découvre depuis près d’un demi-siècle dans des domaines aussi variés que la physique et les mathématiques; l’informatique, la cybernétique et les théories de l’information ; l’économie, la sociologie et l’ethnologie ; la psychologie des groupes et des systèmes, la psychanalyse ; la philosophie et l’épistémologie ; la géographie, l’architecture et l’urbanisme6. L’art bien entendu est de la partie et ce, au moins formellement, depuis les grands
- 5 Le physicien prussien Clausius, postulant l’irréversibilité des phénomènes physiques, élit le terme grec signifiant « transformation » pour forger le concept d’entropie.
- 6 Pour un aperçu bibliographique qui laissera voir la diversité des usages du concept d’entropie, on pourra se reporter par exemple aux publications suivantes :
Boyd John, « Destruction et création », Stratégique, 2013/1, n°102, pp. 447-457
Cirqui Jean-Pierre et Plécheux Céline dir., Robert Smithson : mémoire et entropie, 2018
Dechene Mark, « Les politiques de lutte contre la radicalisation, impact de l’entropie psychique », Le genre humain, 2019/2, n°61, pp. 401-406 Faure-Pragier Sylvie, « La représentation comme produit d’une structure dissipative », Revue Française de Psychanalyse, 2019/3, vol.83, pp. 751-755 Guilyardi Houchang, « Anthropologie et décentrement ou Le malaise mutant. La métaphore et le psychanalyste », Actualités de la psychanalyse,
2014, pp. 194-198
maîtres américains du Land Art, Robert Smithson en tête7.
Entendue comme ce qui « caractérise le niveau de désorganisation ou d’imprédictibilité du
contenu en information d’un système»8, l’entropie postule que tout système va immanquablement vers une dégradation naturelle. Le concept s’appuie sur des principes universels tels que le déploiement, valable en astrophysique comme en physique des particules, en thermodynamique, ou encore pour les systèmes humains sociaux, sanitaires, éducatifs ou politiques9. De même dans l’approche systémique du traitement thérapeutique d’un groupe (famille ou équipe professionnelle par exemple), l’entropie souligne que tout système crée des troubles qui seront un temps compensés, jusqu’à créer de fortes tensions, et un renforcement de la dynamique de dégradation progressive et inéluctable. Inéluctable sauf si des mesures sont prises : se retrouvent ici les idées développées au sein de l’Ecole de Palo Alto autour de Paul Watzlawick10. Dechene étend l’entropie à la culture11 et rappelle Hirsch qui, en 2012, postulait l’entropie psychique comme en capacité de « refléter l’expérience de possibilités perceptuelles et comportementales contradictoires », en soulignant les multiples capacités de perception de l’humain, donc l’acceptation d’une quasi infinité de points de vue.
Notre thématique de la singularité s’enrichit donc considérablement à se tisser à travers le filtre de l’entropie (et de son corollaire, facteur d’organisation du système : la néguentropie). L’accent porté sur la sensorialité humaine dans son extraordinaire diversité (dans un versant pathologique ou non), l’intérêt accordé aux transformations d’un état initial, suscitées au gré des passages et interactions du système ou d’un de ses composants avec d’autres objets ou agents : ces éléments nous ont paru particulièrement appropriés pour évoquer, avec les travaux de Thomas Collet et de Thomas Pactole, le transitoire et l’éphémère qu’ils mettent alors en jeu. Ces deux créateurs font, à leur manière, écho aux paroles fondatrices de Robert Smithson, faisant l’éloge des systèmes « dont l’énergie se perd plus facilement qu’elle se capte ». Son intérêt d’alors (en 1966) pour ce qu’il qualifiait de « nouveaux monuments » se portait sur ceux qui « ne sont pas construits en vue de la durée, mais plutôt contre », « neutralisant le mythe du progrès et voyant le futur à reculons. »12
Singularité, dispositif, processus, engagement de la sensorialité du créateur autant que celle de l’expérienceur, caractère éphémère et changeant rappelant le cheminement humain dans ses affres et sa finitude, temporalité à l’œuvre : voilà ce qui nous a pour une grande part guidés tous les trois dans les féconds échanges dont celui à trois voix transcrit ci-après constitue un témoignage.
Israël Lucien, « L’entropie », chap.3 de Boiter n’est pas pécher. Essais d’écoute psychanalytique, 2010
Jeannet Denis, « Des mots gris…Sociologie de l’art et de l’écriture », Sociologie de l’art, 2004/2, Opus 4, pp. 155-171
Jodoin Laurent, « L’émergence et la réalité des états compatibles inobservables : le cas de l’entropie », dans Matériaux philosophiques et
scientifiques pour un matérialisme contemporain, Mars Silberstein dir., vol.1, chap.10, pp.321-366.
Le Clanche Jean-François, « Épistémologie de la rupture », Pour, 2018/2-3, pp. 29-36
Lenoir Jean-Loup, « La médicalisation de l’existence à l’heure de l’Anthropocène », Le Sociographe, 2020/4, n°12, pp. I à XII
Mager Christophe et Matthey Laurent, « Pour une géographie des espaces poreux. Polymorphie et polysémie des communautés fermées », Journal
of Urban Research, 2012/8
Masclet Georges, « Entre chaos et entropie : une solution à la crise ? », Journal des Psychologues, 2010/10, n°283, pp.22-29
Masclet et Lemoine, Nouvelle entropie des organisations, 2007
Rampley Matthew, « De l’art considéré comme système social. Observations sur la sociologie de Niklas Luhmann », Sociologie de l’art, 2005/2, Opus
7, pp. 157-185
Sitbon-Peillon Brigitte, « A la suite de l’évolution créatrice : les deux sources de la morale et de la religion. L’entropie, un principe social ? », Archives
de philosophie, 2008/2, tome 71, pp. 289-300 Stiegler Bernard, La société automatique, 2015 Veyne Paul, Comment on écrit l’histoire, 1971
- 7 Voir par exemple : Smithson Robert, « Entropy and the new monuments », ArtForum, juin 1966 ; également : Cirqui Jean-Pierre et Plécheux Céline dir., Robert Smithson : mémoire et entropie, 2018
- 8 Notice Wikipedia du terme « Entropie », consultée à l’automne 2021.
- 9 Voir Masclet, op.cit.
- 10 Voir par exemple Watzlawick, Weakland et Fisch, Changements. Paradoxes et psychothérapie, 1975.
- 11 Voir Dechene, op.cit., selon lequel la culture « nous donne un nom, un sentiment du soi, un chemin qui nous guide » « permet de comprendre les individus », « donne un objectif ».
- 12 Smithson, 1966, op.cit.
Transcriptions de notre échange à trois voix, réalisé pendant le Colloque CiS XXI :
Virginie Tillier : « L’engagement du corps, je le vis beaucoup en tant que psychologue, parce que les enfants avec lesquels je travaille en Hôpital de Jour sont, pour la plupart, non-verbaux, n’utilisent pas le langage dans une perspective communicationnelle. Mon approche est surtout psycho-corporelle avec eux. Cette rencontre entre la psyché et le soma a été beaucoup travaillée par le pédiatre et psychanalyste anglais Donald Winnicott, notamment. Elle est très à l’œuvre aussi avec les usagers de l’Équipe Mobile psycho-sociale où je travaille également, personnes en situation de précarité et de rupture avec le parcours de soins. Thomas Pactole a aussi des choses très intéressantes à partager, autour de son projet de réalité virtuelle (VR) qui est le sien, qui met en jeu son corps et aussi celui de ceux qui peuvent expériencer son dispositif. »
Thomas Pactole : « Effectivement, je suis autiste et, dans mon projet en réalité virtuelle qui se nomme A(L)TER, j’ai voulu « représenter » de manière sensible ma perception, mes perceptions en tant qu’autiste, que je vis au quotidien. Pour que cette personne puisse la recevoir et l’expérimenter par la suite. Je vais plus parler dans un premier temps de mon corps sensoriel et de ses sensations. En tant qu’autiste j’ai une sorte d’hyper sensorialité qui fait que je reçois énormément d’informations quotidiennes, qui arrivent en même temps. Par exemple, avec le son : j’ai énormément de mal à évoluer quand il y a beaucoup de perturbations sonores. Toutes ces sensations de trop-plein, le fait de devoir traiter toutes ces informations continuellement, en même temps, c’est ce que j’ai voulu représenter dans mon dispositif.
Outre le son, cette hypersensibilité se manifeste également vis-à-vis des images. Les images contenant pléthore d’informations, il m’est difficile de dégager une structure globale des images observées, leurs informations inondant ma perception. Pour pouvoir lire une image, ma seule porte d’entrée est de s’introduire dans celle-ci par le biais des détails13. Détails après détails, je reconstruis ainsi l’image. Néanmoins, cette reconstruction sera toujours moins complète qu’une personne pouvant observer sans difficulté la structure globale des images.
J’utilise la réalité virtuelle car, en ce qui concerne l’engagement du corps, j’ai, en tant qu’autiste, beaucoup de mal à engager mon corps. Je ne suis pas dans une perspective transhumaniste, mais l’idée de pouvoir, ne serait-ce qu’un petit peu, donner ma perception à des personnes neurotypiques, ou atypiques aussi, via la technologie et via un media immersif comme la réalité virtuelle, est quelque chose qui m’a beaucoup plu. »
Virginie Tillier : «Cette expérience immersive est aussi travaillée par Thomas Collet, avec l’installation Ran 7.5 Charrière et d’autres de ses œuvres. Son engagement corporel est très présent, dans le temps de l’installation, comme dans tout le processus qui précède. Il provoque aussi d’une certaine manière la rencontre avec le corps de l’autre qui va vivre son travail. »
Thomas Collet : « Sans relation physique et sensorielle avec le support et le médium je suis certain que j’aurais vite fait autre chose. Même enfant. Dans le travail qui m’occupe actuellement, les Ran, le bout des doigts est au départ du processus. Le premier contact avec une série est tactile. Au commencement était la lumière, certes, mais au départ étaient les capteurs. L’échange de chaleur entre la peau du papier et ma chair déterminent en partie le chemin qui sera pris. Ceci continue, s’affine, par la rupture des feuilles dans l’acte de déchirure qui engage mon corps avec celui de l’autre qui deviendra multiple. Un acte de reproduction ?! Je dois être debout, dominer la feuille
13 Blaser, Hermine. A la croisée des mondes : approche phénoménologique de la condition de l’autisme . Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2020.
qui, elle, est couchée, pour en faire des papiers, individus en puissance. Diriger une déchirure n’est pas chose aisée d’autant que j’utilise des papiers retors, de redoutables et épais adversaires qui ne se laissent pas si facilement séparer. Ces moments sont, comme dans l’acte de peindre, parfois dualité, parfois danse, parfois amour, parfois pugilat, parfois échec, parfois pleins, parfois néant, parfois… foi?. Il n’en reste pas moins que c’est toujours le corps par son attention aux sens qui, du choix du matériau à son premier façonnage agit, décide et fournit des informations à la pensée. C’est-à-dire que je prends le papier comme un corps ; comme celui d’un autre que je vais rendre par mes intentions et mes actions de plus en plus particulier, singulier, donnant à chacun un caractère qui lui est propre et qui lui échappe en partie. Il y a un début d’historicité, car en lui donnant un corps, l’individu devient précieux donc fragile donc mortel et, en même temps, il engage la possibilité de dépasser sa fonction de réceptacle de trace pour devenir lui même et pleinement trace – déjà vestige archéologique, déjà vaisseau dans le temps. Tout ceci parce que mon corps et mon esprit sont engagés dans cette affaire, cet ensemble n’est plus un système isolé et peut transformer l’entropie qui m’échauffe en néguentropie, grâce à la transmission d’une énergie utile dans un rien, un pré-individu. Leurs entropies ne monteront pas car, du moment qu’ils deviennent individus, ils deviennent les fossiles de leurs volontés d’être… pour nous.
C’est vrai que je m’investis beaucoup dans les Ran 7. Le processus est long et nécessite plusieurs étapes distinctes et des énergies différentes : mentales, physiques, techniques, fastidieuses et instinctives etc…Mais toutes utiles. Les dernières étapes, celles de l’installation de l’installation, sont comme un marathon. Je m’épuise volontairement jusqu’au sprint final : la pose les monotypes-individus sur la structure. Je suis alors dans un état presque second, sûr et efficace. Le temps tend à se suspendre à mesure que la fin de la prédiction s’accélère.
Mon être se divise en quatre. Une partie guide les mains, à l’endroit où je pose les monotypes (un moi artiste concret), une partie fait les yeux et doit concevoir la pièce dans son ensemble, de la position idéale d’observation (un moi spectateur virtuel), une autre reste attentive à l’espace nu et à son souffle (un moi chaman auditeur), une dernière chapeaute le tout (un moi responsable satisfait et angoissé).
Arrive le temps du public. Je vais faire en sorte qu’il prenne conscience de sa présence et de son impact. J’ai beaucoup utilisé le sol en ce sens. Des sols bruyants, dans des lieux qui résonnent, ont tendance à modifier le comportement des gens. Ils ne se déplacent plus de la même façon, sont plus facilement en sympathie avec les autres et plus entiers avec la pièce. Ils ont quelque part l’idée de déranger (dé-ranger) et l’envie d’y remédier. Ayant une plus grande conscience de leurs entropies et de celle du groupe, l’expérienceur et le public deviennent généralement mieux disposés à recevoir le travail (du moins je le crois) et à prendre individuellement le temps. Il est alors de facto impliqué dans la réussite de son expérience et sort de son rôle quotidien de triste consommateur. De spectateur il devient expérienceur puis, en retour, acteur direct de la fabrique du souvenir qui sera le sien, mais aussi celui de ceux qui auront partagé le même espace que lui. Les entropies s’ajouteront aux éléments de la pièce.
Ce qui se dégage des spectateurs participe aussi de l’œuvre; l’ambiance modèle le souvenir à l’envie. »
Virginie Tillier : « Dans le travail de Thomas Pactole, la notion d’entropie sonore est abordée, afin de souligner comment le son peut traduire pour partie certains aspects de sa sensorialité, et des effets provoqués par le dispositif ALTER. »
Thomas Pactole : « En effet quand je suis dans un environnement très bruyant – je parle ici de sons et de bruits, pas de musique – je suis en difficulté car il y a trop d’informations. Dans mon dispositif, les personnes sont munies d’un casque de réalité virtuelle qui peut capter les sons, afin que ces personnes puissent réagir dans l’installation. Par leurs bruits, par leurs sons et leurs
paroles, elles vont impacter sur l’univers de la réalité virtuelle et elles vont le détruire. Il s’agit donc d’un aspect très prégnant dans mon dispositif. »
Virginie Tillier : « Le second aspect, consacré au processus, à la technique et au geste, me permet de me réclamer volontiers de ce que Juliette Favez-Boutonnier nommait la « psychologie à mains nues »14. Un écho récent peut-être fait avec le travail du médecin psychiatre Emmanuel Venet, « Manifeste pour une psychiatrie artisanale »15, dans lequel il développe la métaphore du soignant en psychiatrie qui serait à l’image d’un artisan. Venet évoque l’artisan luthier ; comme lui, en tant que psycho-logue clinicienne, je suis mon propre outil de travail et c’est à moi de proposer, dans ma « boîte à outils » quelque chose d’adapté, dans mes techniques et mes gestes, à la singularité de la personne que je rencontre.
La donne est bien entendu différente pour Thomas Pactole et Thomas Collet, mais le gestuel, la technicité, la technologie sont à l’œuvre. Par exemple, la réalité virtuelle est un outil déployé par Thomas Pactole. »
Thomas Pactole : « Avec la réalité virtuelle, on doit tout construire : il faut donc penser aux interactions, à l’espace, à la durée. Ce ne sont pas des protocoles, car je les ai faits instinctivement. Mais ce sont des paramètres, proche du travail de l’ingénieur : il faut tout construire et voir si tout marche ensemble, et à la fin seulement cela devient une habitude, un processus. C’est en quelque sorte la création d’un univers, dont il faut penser les règles.
La principale qualité selon moi de la réalité virtuelle que je tente d’utiliser dans A(L)TER, c’est que la VR n’est pas territorialisée. C’est à moi de territorialiser mon espace sensible dans ce média. A partir de ce point, les combinaisons sont infinies : l’utilisateur se retrouve dans mon univers via la VR mais aussi à l’extérieur via la réception des sons. Un couple déterritorialisation – reterritorialisa- tion16 s’enchaîne pour l’utilisateur qui perd alors toute notion de repères et d’espace-temps dans le dispositif.
L’entropie sonore est, pour rappel, dans A(L)TER, la désagrégation de l’espace VR suite à la captation de sons environnants se situant en dehors de ce même espace virtuel. Ce phénomène perturbateur, bien qu’inhérent au système parce que programmé, ne peut se produire par la seule force de celui-ci. Il lui faut en effet un élément extérieur pour se déclencher. Qui dit élément extérieur dit cadre spatio-temporel différent : c’est dans cet asynchronisme que s’introduit la notion d’eSPACE développée par Marc Veyrat17. L’eSpace « définit le territoire opératoire d’une temporalité asynchrone, la mécanique d’un lieu augmenté par la disjonction intentionnelle entre un espace physique et un espace programmé semblant lui être associé, voire superposé. Cette disjonction programmée (aléatoire ou non) s’applique lorsqu’il y a immersion dans un dispositif lié aux technologies de l’information et de la communication. »
Cette disjonction chère à l’eSpace est matérialisée par les échos parvenant au casque de VR. Les sons environnants ne sont pas directement captés dans l’espace virtuel, un temps de latence s’instaure avant de venir perturber le système. Ces échos provoquent une entropie au niveau du cadre spatio-temporel du programme VR : celui-ci subit une variation temporelle et spatiale soudaine alors que ces deux paramètres étaient auparavant figés (voire imperceptibles pour le
- 14 Dans son cours à la Sorbonne en 1959 « Psychologie clinique et phénoménologie », elle s’opposait alors à ce que Daniel Lagache nommait « la psychologie armée », c’est-à-dire celle ayant recours aux tests psychométriques et à d’autres techniques que l’entretien et l’observation. Voir par exemple Annick Ohayon, « La psychologie clinique en France. Éléments d’histoire », Connexions, 2006/1, n°85, pp. 9-24.
- 15 Verdier, 2020. Voir notamment pp. 84-85 : « […] il est temps de rappeler que l’exercice de la psychiatrie s’apparente à un artisanat d’art, et que les soignants en psychiatrie partagent beaucoup de valeurs professionnelles avec, par exemple, les luthiers. Comme eux ils ont intérêt à travailler lentement, à façonner à leur main leurs outils – concrets pour les uns, théoriques pour les autres -, à tenir compte de la spécificité de chaque situation – veinage et séchage du bois en lutherie profil de personnalité et modalités relationnelles en psychiatrie. Et finalement, de même que les vrais luthiers ne fabriquent jamais deux fois le même violon, les vrais soignants en psychiatrie ne co-organisent jamais deux fois la même relation thérapeutique. C’est la grandeur et la noblesse de leurs métiers, et ce serait un modèle certes plus exigeant, mais aussi plus enthousiasmant que le taylorisme à proposer aux étudiants infirmiers, psychologues ou médecins. »
- 16 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980
- 17 Marc Veyrat, « eSpace », 100 notions pour l’art numérique, Paris, Les éditions de l’Immatériel, 2015, pp. 86-88.
temps), prenant l’utilisateur de court, d’autant plus que ce phénomène n’est pas constant.
Suivant les irrégularités d’un paysage sonore lui étant étranger, A(L)TER alterne entre phases de stabilité et phases de destruction et, à la manière de l’œuvre Spiral Jetty du Land artist Robert Smithson, ne peut que finir par contempler sa propre dissolution.»
Virginie Tillier : « Thomas Collet, est-il possible de sentir cet aspect « création d’un univers », microcosme ou macrocosme, dans les installations Ran ? »
Thomas Collet : « C’est même consubtantiel au Ran. Il y a plusieurs échelles, de l’individu au bassin d’accueil en passant par la pièce. Toutes ont des lois, des règles, des ontologies et des processus de création différents. Sur la dernière installation l’échelle unifiée la plus petite était celle des clous qui supportaient les gravures. Ils formaient un double maillage d’espaces discrets de nature relationnelle. La distance qui séparait les clous n’avait pas de réalité, elle ne se comprenait que comme séparation. La loi qui a servi à les agencer, en espacement comme en hauteur, supposait de connaître ce qui allait succéder, grâce au savoir accumulé des expériences passées. La règle appliquée fut celle de l’économie (des clous et de ma propre énergie).
Un peu plus grande était l’échelle de l’individu-monotype avec ses lois propres sur les couleurs, l’ontologie de ses déchirures et sa règle d’homothétie. Pourtant au sein même de l’individu se trouve un univers réellement microscopique, infini. C’est l’espace des couleurs marqué d’accidents sous lequel se trouve les strates de papier, résidu de plantes broyées et anciennement vivantes. Les techniques que j’utilise et surtout ma façon « sale » de les employer vieillissent les papiers. C’est au prix de ce « vécu forcé » qu’il peuvent devenir individus.
Dans le papier : le gaufrage et sur sa peau : la matière-couleur. Alors, seulement, ils sont capables d’entropies et même d’altérité, grâce à la couleur et aux cicatrices. La couleur réagit en milieu ouvert. Elle n’est pas, elle n’est jamais un système isolé. Elle crée un échange d’entropies avec ce qui l’entoure. La lumière faisant office d’activateur et de modulateur. À ce titre elle n’a pas de frontières fixes mais une portée dont la valeur est elle aussi conditionnée par la lumière. C’est ainsi qu’elle peut abolir la forme qui se retrouve de façon exponentielle dans le corps général d’un Ran.
À plus grande échelle encore il y avait le rang, des lignes d’individus s’épaulant. Les calculs de chevauchements étaient appliqués plus ou moins précisément, mais par contre les « entrées et sorties » des rangs étaient strictement respectées et décidées par la correction de l’effet de parallaxe de la « position primaire d’observation », c’est-à-dire du point de vue « idéal »18. Cet espace était lui substantiel et relationnel car uni, réel mais du fait d’un assemblage et d’un chevauchement d’éléments dont la tenue dépendait de la qualité des relations entre les individus. Les micros territoires, au sacrifice d’une partie de leurs flancs, formait un macro territoire.
L’entropie de la couleur, activée et modulée par la lumière, dissolvait les frontières de résonance entre les individus en un magma. Les frontières physiques étaient, suivant l’orientation du soleil (donc du moment irrémédiable et singulier de l’espace-temps) soit accentuées en créant une ombre portée du chevauchement sur l’individu voisin, soit effacées par l’écrasement lumineux. Ce sont ce que je nomme dans un Ran des entropies naturelles – naturelles, donc subies.
Au-dessus était l’échelle de la pièce plastique répondant à une cosmologie plus littéraire et ponctuelle. La constitution de cet espace a donc nécessité que je me divise, ou plutôt que je me multiplie en quatre. Beaucoup d’instinct dans cette phase, c’est-à-dire qu’il faut de l’expérience, de la répétition, du travail pour pouvoir y accéder de façon honnête, constante et naturelle. Je reçois des murs, du volume et de leurs histoires. Je puise inconsciemment dans mon vécu. J’écoute aussi le futur. Ma position est centrale, je suis en totale activité et pourtant je dois rester à ma place : peu visible, modeste autant que je le puisse, passeur. Quelque part l’enjeu d’une œuvre est l’espace qui
18 Chopin disait que si une partition un morceau était noté à 3’30’’ par exemple alors on devait le jouer en 3’30’’ mais les vitesses à l’intérieurs des mouvements peuvent être personnelles à l’interprète. Imaginons un élastique tendu en deux épingles, la distance entre les deux points reste la même tandis que la logeur de l’élastique peut changer. Un fois relâché l’élastique reprend sa ligne initiale. – De mémoire et d’après Julien Blondel
sera laissé à qui s’en emparera. Il n’y a plus de question de frontières physiques, métaphysiques ou symbolique tout EST à un instant Un, en osmose avec cette part de vide vers laquelle il faut tendre. À plus grande échelle encore : la pièce et la pièce, le travail plastique dans le lieu qui l’accueille. Elle recueille toutes ces accumulations d’échelles, d’espaces, de géométries, d’entropies particulières, d’interactions. Elle apporte sur un plateau la quatrième dimension celle du Temps (comme l’avait remarqué Proust19) Toutes ces échelles sont appréhendées à la mesure de l’Homme (Alberti20), à la mesure du spectateur (Howard Phillip21) qui les ressent en se déplaçant dans l’espace. Car finalement tout n’est pas tant à la mesure de l’Homme qu’à la position qu’il occupe, physiquement comme symboliquement. Et ici il peut choisir.
À l’inverse d’un tableau, l’œuvre n’est plus sur un support et dans un espace fini : l’œuvre devient la cause du support. Celui-ci n’existe et ne s’étend qu’à mesure que les monotypes s’ajoutent et selon leurs besoins. Le support naît de la nécessité du travail et devient potentiellement infini, sans forme ni ratio arrêté. Comme l’étendu de l’esprit humain qui n’a de limite, de fin que lorsqu’il cesse de s’animer.
Pour terminer : cette méthode et ce monde ont été le fruit de la sérendipité. Parce que je me suis penché sur mon médium – exclusivement – j’ai pu y voir et y développer un monde physique (structure), chimique (couleurs), biologique (individus), anthropologique (Ran).
Le sujet et le moteur de la peinture est la Peinture. Le sujet et la cause de la musique est la Musique. Or la peinture nous donne à appréhender le Temps et la musique à expériencer l’Espace. Les médiums nous offrent, un fois travaillées, triturés ce qu’ils ne sont pas censé avoir. Nous expérimentons les dimensions manquantes en les habitants pleinement. Alors, sans reconnaître le médium comme source de puissance (primitive), nous ne pouvons que caresser vaniteusement l’habit des choses qui nous concernent. Nous devons prendre soin de nos médiums respectifs. Si l’attention particulière que nous leurs portons ne nous ouvre pas forcément nous mêmes créateurs, elle laisse les œuvres ouvertes pour que le spectateur puisse en prendre possession. Il pourra alors aisément se singulariser dans l’œuvre et la rendre ainsi plus évidemment singulière -vivante -. »
Conclusion suspensive
Si les singularités ici contées constituent sans doute aucun des manifestations de la prégnance de ce concept lié fortement à ceux d’entropie et « d’œuvre d’art », une autre notion affleure : est-il donc cynique, le monde de l’art aujourd’hui ?
Probablement s’il s’agit de rappeler combien l’école de Diogène de Sinope visait, il y a 24 siècles, le renversement des valeurs dominantes du moment, prônant désinvolture, humilité, matérialisme et anticonformisme, subversion et jubilation.
Très certainement aussi, si l’on aborde les préceptes d’alors (virtu et sophia, atteignables par la
19 « Tout cela faisait d’elle pour moi quelque chose d’entièrement différent du reste de la ville : un édifice occupant, si l’on peut dire, un espace à quatre dimensions — la quatrième étant celle du Temps — déployant à travers les siècles son vaisseau qui, de travée en travée, de chapelle en chapelle, semblait vaincre et franchir, non pas seulement quelques mètres, mais des époques successives d’où il sortait victorieux ; » Marcel Proust – Du côté de chez Swann.1913
20 « D’abord j’inscris sur la surface à peindre un quadrilatère à angles droits aussi grand qu’il me plaît, qui est pour moi en vérité comme une fenêtre ouverte à partir de laquelle l’histoire représentée pourra être considérée ; puis j’y détermine la taille que je souhaite donner aux hommes dans la peinture. Je divise la hauteur de ce même homme en trois parties, que je fais proportionnelles à cette mesure appelée vulgairement « bras ». En effet, comme il ressort clairement de la symétrie des membres de l’homme, la longueur du corps humain moyen est très communément de trois bras. Je divise alors à l’aide de cette mesure la ligne inférieure du quadrilatère tracé en autant de parties qu’elle compte de mesures ; et je fais cette même ligne inférieure du quadrilatère proportionnelle à la quantité transversale qui apparaît la plus proche et parallèle sur le pavement. Après cela, je place un point unique qu’on puisse voir dans le quadrilatère ; et selon moi, comme ce point occupe le lieu même vers lequel se dirige le rayon de centre, il faut l’appeler « point de centre ». La position de ce point de centre est convenable par rapport à la ligne de base lorsqu’il ne s’élève pas au- dessus de la hauteur de l’homme à peindre, car ainsi les spectateurs et les choses peintes semblent se trouver sur un même sol. Après avoir placé le point de centre, je trace des lignes droites depuis ce même point jusqu’à chacune des divisions de la ligne de base ; et ces lignes me montrent comment les quantités transversales se succèdent en changeant d’aspect presque jusqu’à une distance infinie ». Leon Battista Alberti, De la peinture, Paris, Seuil, p. 83, 85
21« J’étais le meilleur guitariste de mon immeuble donc du monde…ou le pire -ce qui est la même chose », Howard Phillip, Courte autobiographie d’une jeune personne imbue d’elle-même, Boston, 1999
liberté et le rapprochement constant d’avec la nature), si donc l’on aborde ces préceptes en les réévaluant à l’aune de notre ère : protocoles et procédures disent la rigueur, voire l’ascèse nécessaires aux chemins du penser et du faire. Authenticité et humilité proclamant à leur tour des formules discursives où la singularité du regardeur opère une mutation en « expérienceur ».
Ceci est à vivre. Ici et maintenant.
Que les revendications matérielles et sociales soient, à nouveau, audibles, sans plus nier la précarité et la tension permanentes qui sont à l’œuvre en chacune de nos singularités.
Ces deux exemples ouvrent au dépassement de l’emprise dialectique qui opposa trop longtemps praxis et poïesis.
ART EST CHOSE PSYCHIQUE