Ran 7 par Isabelle Rochais

Au début était la matière.

Thomas Collet partage une matière de strates pointilliste de 5000 pièces. Une installation synonyme d’ondoiement de 5000 monotypes… pour trois lettres majuscules. Et plusieurs versions en fonction des haltes, des pauses, des envies, des invitations, des lieux. Teintes et nuances juxtaposées socialisant, s’apprivoisant comme pour s’affronter tour à tour au gré de taches oscillant entre focus hasardeux, accidentels et sombritude mélancolique inavouée. Investissant Le Verso (à Saint-Etienne), théâtre aux pierres apparentes jouant avec un déséquilibre de chute annoncée, et où gradins et assises offrent à voir différentes plongées et captures à embrasser, comme pour mieux s’embraser. L’artiste se remettant ainsi sans cesse à l’ouvrage comme l’infortunée tisseuse que nul, ni rien, ne peut enchâsser.

Inter-mezzo.

A l’image d’un opus de Bacon (sans vitres) mais qui appelle le lecteur/spectateur à se mirer et à se confronter à l’orchestreur. Ou quand équinoxe et marées supplient Achab d’affronter ses parts sombres et sa monstrueuse destinée. La lumière ici tient un rôle ténu et se veut enveloppante… mais quelle déclamation au sein des lignes de ce labyrinthe de coruscations ! Basculer alors et se laisser aller à la synesthésie… avec ou sans musique, avec ou sans couleur(s), avec ou sans mots… avec ou sans papier. Une colorimétrie peu perceptible de prime abord, mais prenant forme sous nos yeux déshabitués à en-visager (ou dé-visager probablement ?) une pièce facétique et une architecture multiple dont les détails infimes prennent sens dans leur entièreté. C’est bien là l’inquiétante étrangeté de la pièce que l’on nous laisse appréhender.

Pour ne pas conclure.

Voyelle de Pérec non débusquée, ou autant de tirages uniques prévalent aux lettres d’un abécédaire Deleuzien fomentant et rythmant l’expérience d’une pensée à l’œuvre. Il faudrait alors créer des milliers de lettres comme autant de pulsions scopiques voire de trames neuronales… Quand narration et théâtralité ouvrent un dialogue, correspondent voire hypnotisent, nous guettons alors une quête de sens, de sensations, d’affects. Et le fait de tenter de s’agripper à une quelconque ébauche, accroche ou trame de réminiscence plastique. Or nous ne pouvons lutter face à la sensible persistance rétinienne qui ne s’apaisera nullement lorsque nous fermeront les yeux… Beauté et rareté sans concession.

Isabelle Rochais / Juillet 2020